Un riche en Bretagne

Tristan Corbière
par Tristan Corbière
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O fortunatos nimium, sua si…
VIRGILE.

C’est le bon riche, c’est un vieux pauvre en Bretagne,
Oui, pouilleux de pavé sans eau pure et sans ciel !
– Lui, c’est un philosophe-errant dans la campagne ;
Il aime son pain noir sec – pas beurré de fiel…
S’il n’en a pas : bonsoir. – Il connaît une crèche
Où la vache lui prête un peu de paille fraîche,
Il s’endort, rêvassant planche-à-pain au milieu,
Et s’éveille au matin en bayant au Bon-Dieu.
– Panem nostrum… – Sa faim a le goût d’espérance…
Un Benedicite s’exhale de sa panse ;
Il sait bien que pour lui l’œil d’en haut est ouvert
Dans ce coin d’où tomba la manne du désert
Et le pain de son sac…
Il va de ferme en ferme.
Et jamais à son pas la porte ne se ferme,
– Car sa venue est bien. – Il entre à la maison
Pour allumer sa pipe en soufflant un tison…
Et s’assied. – Quand on a quelque chose, on lui donne ;
Alors, il se secoue et rit, tousse et rognonne
Un Pater en hébreu. Puis, son bâton en main,
Il reprend sa tournée en disant : à demain.
Le gros chien de la cour en passant le caresse…
– Avec ça, peut-on pas se passer de maîtresse ?…
Et, – qui sait, – dans les champs, un beau jour, la beauté
Peut s’amuser à faire aussi la charité…

– Lui, n’est pas pauvre : il est Un Pauvre, – et s’en contente
C’est un petit rentier, moins l’ennui de la rente.
Seul, il se chante vêpre en berçant son ennui…
– Travailler – Pour que faire ? – … On travaille pour lui.
Point ne doit déroger, il perdrait la pratique ;
Il doit garder intact son vieux blason mystique.
– Noblesse oblige. – Il est saint : à chaque foyer
Sa niche est là, tout près du grillon familier.
Bon messager boiteux, il a plus d’une histoire
À faire froid au dos, quand la nuit est bien noire…
N’a-t-il pas vu, rôdeur, durant les clairs minuits
Dans la lande danser les cornandons maudits…

– Il est simple… peut-être. – Heureux ceux qui sont simples !…
À la lune, n’a-t-il jamais cueilli des simples ?…
– Il est sorcier peut-être… et, sur le mauvais seuil,
Pourrait, en s’en allant, jeter le mauvais œil…
– Mais non : mieux vaut porter bonheur ; dans les familles,
Proposer ou chercher des maris pour les filles.
Il est de noce alors, très humble desservant
De la part du bon-dieu. – Dieu doit être content :
Plein comme feu Noé, son Pauvre est ramassé
Le lendemain matin au revers d’un fossé.

Ah, s’il avait été senti du doux Virgile…
Il eût été traduit par monsieur Delille,
Comme un « trop fortuné s’il connût son bonheur… »

– Merci : ça le connaît, ce marmiteux seigneur !

Saint-Thégonnec.

Tristan Corbière

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