Chant de la Variéte Visible
Je chante l’Ungrund primordial et omniprésent.
Je tiens dans mes mains de prodigieuses étoiles vertes;
J’ai cueilli toutes les fleurs grises de la mer;
Je suis né de l’amour anonyme de la
Sagesse;
J’apporte le sourire le plus naïf de la vie,
Une volupté toute neuve au monde,
Et les roses incomparables de la mort.
Je suis un passant comme les autres;
Je suis le mendiant qui remercie ;
J’ai rejeté loin de moi tout ce qui est objet de connaissance ;
Je suis pareil aux animaux les moins organises;
Je suis agi par la
Divine
Variété visible.
ASPIRATIONS
Là-bas, mes ouvriers sont dans le guano jusqu’au cou, les
sales !
A me gagner cet argent
Rutilant, que je dépense moi, avec des mains propres.
Bon
Dieu, quels dégoûtants!
Fi donc!
Ah! m’en aller dans une tartane à voile d’or
Vers des pays infiniment aristocratiques!
Danser sur des ventres d’aimées couvertes de bijoux;
Valser dans des îles de soie sur un lac parfumé;
Avoir plus de désirs encor que je n’en ai!
Langueur et malaise de n’avoir rien à faire,
Est-ce vous que j’aime, ou le désir d’être occupé?
Répondez, répondes à ce cœur angoissé,
Y a-t-il un moyen d’être encor plus heureux?
Le
Caire, hiver 1901.
Valery Larbaud