La Mort D’atahuallpa
O combien de fois j’ai pensé à ces larmes,
Ces larmes du suprême
Inca de l’empire ignoré
Si longtemps, sur les hauts plateaux, aux bords lointains
Du
Pacifique — ces larmes, ces pauvres larmes
De ces gros yeux rouges suppliant
Pizarre et
Almagro.
J’y ai songé, tout enfant, lorsque je m’arrêtais
Longtemps, dans une galerie sombre, à
Lima,
Devant ce tableau historique, officiel, terrifiant.
On y voit d’abord — belle étude de nu et d’expression —
Les femmes de l’Empereur américain, furieuses
De douleur, demandant qu’on les tue, et voici,
Entouré du clergé en surplis et des croix
Et des cierges allumés, non loin de
Fray
Vicente de
Valverde,
Atahuallpa, couché sur l’appareil horrible
Et inexplicable du garrot, avec son torse brun
Nu, et son maigre visage vu de profil,
Tandis qu’à ses côtés les
Conquistadores
Prient, fervents et farouches.
Cela fait partie de ces crimes étranges de l’Histoire.
Entouré de la majesté des
Lois et des splendeurs de
l’Église,
Si prodigieux d’angoissante horreur, -Qu’on ne peut pas croire qu’ils ne durent
Quelque part, au delà du monde visible, éternellement;
Et dans ce tableau même, peut-être, demeurent
Toujours la même douleur, les mêmes prières, les
mêmes larmes,
Pareilles aux desseins mystérieux du
Seigneur.
Et j’imagine volontiers, en cet instant
Où j’écris seul, abandonné des dieux et des hommes,
Dans un appartement complet du
Sonora
Palace
Hôtel (Quartier de la
Californie),
Oui, j’imagine que quelque part dans cet hôtel,
Dans une chambre éblouissante de lampes électriques,
Silencieusement cette même terrible scène,
—
Cette scène de l’histoire nationale péruvienne
Qu’on serine aux enfants, là-bas, dans nos écoles, —
S’accomplit exactement
Comme, il y a quatre cents ans, à
Caxamarca.
—
Ah! que quelqu’un n’aille pas se tromper de porte!
Valery Larbaud
Mort