L’Innommable
Quand je serai mort, quand je serai de nos chère morts (Au moins, me donnerez-vous votre souvenir, passants
Qui m’avez coudoyé si souvent dans vos rues?)
Restera-t-il dans ces poèmes quelques images
De tant de pays, de tant de regards, et de tous ces
visages
Entrevus brusquement dans la foule mouvante?
J’ai marché parmi vous, me garant des voitures
Comme vous, et m’arrêtant comme vous aux devantures.
J’ai fait avec mes yeux des compliments aux
Dames;
J’ai marché, joyeux, vers les plaisirs et vers la gloire,
Croyant dans mon cher cœur que c’était arrivé;
J’ai marché dans le troupeau avec délices,
Car nous sommes du troupeau, moi et mes aspirations.
Et si je suis un peu différent, hélas, de vous tous,
C’est parce que je vois,
Ici, au milieu de vous, comme une apparition divine,
Au-devant de laquelle je m’élance pour en être frôlé,
Honnie, méconnue, exilée,
Dix fois mystérieuse,
La
Beauté
Invisible.
Valery Larbaud