Londres
Après avoir aimé des yeux dans
Burlington
Arcade,
Je redescends
Piccadilly à pied, doucement. 0 bouffées de printemps mêlées à des odeurs d’urine,
Entre les grilles du
Green
Park et la station des cabs,
Combien vous êtes émouvantes!
Puis, je suis
Rotten
Row, vers
Kensington, plus calme,
Moins en poésie, moins sous le charme
De ces couleurs, de ces odeurs et de ce grondement de
Londres.
(0
Johnson, je comprends ton cœur, savant
D6cteur,
Ce cœur tout résonnant des bruits de la grand’ville :
L’horizon de
Fleet
Street suffisait à tes yeux.)
O jardins verts et bleus, brouillards blancs, voiles mauves
I
Barrant l’eau de platine morne du
Bassin,
Qui dort sous l’impalpable gaze d’une riche brume,
Le long sillage d’un oiseau d’eau couleur de rouille…
Il y a la
Tamise, que
Madame d’Aulnoy
Trouvait « un des plus beaux cours d’eau du monde ».
Ses personnages historiques y naviguaient, l’été,
Au soir tombant, froissant le reflet blanc
Des premières étoiles ;
Et les barges, tendues de soie, chargées de princes
Et de dames couchés sur les carreaux brodés,
Et
Buckingham et les menines de la
Reine,
S’avançaient doucement, comme un rêve, sur l’eau,
Ou comme notre cœur se bercerait longtemps
Aux beaux rythmes des vers royaux d’Albert
Samain.
La rue luisante où tout se mire ;
Le bus multicolore, le cab noir, la girl en rose
Et même un peu de soleil couchant, on dirait…
Les toits lavés, le square bleuâtre et tout fumant…
Les nuages de cuivre sali qui s’élèvent lentement…
Accalmie et tiédeur humide, et odeur de miel du tabac;
La dorure de ce livre
Devient plus claire à chaque instant : un essai de soleil
sans doute. (Trop tard, la nuit le prendra fatalement.)
Et voici qu’éclate l’orgue de
Barbarie après l’averse.
Valery Larbaud
Lieux