Stockholm
Fillettes qui vendez les journaux, court-vêtues,
En bleu clair avec des cols marins blancs,
Vous revoilà, toujours pour moi mystérieuses.
On ne sait : vous avez entre douze et vingt ans;
On se demande si vous avez des amoureux;
Vous vous ressemblez non seulement de costume,
Mais de visage, beaux visages blancs, brillants,
Aux traits aimablement durs, aux yeux farouches et bleus.
Il y a quelques années, je fus amoureux de vous toutes,
Comme j’ai été amoureux des bouquetières romaines,
Des jeunes filles de l’île de
Marken, qu’on va voir
d’Amsterdam,
Des paysannes de
Corfou, et même aussi
D’une fausse bohémienne joueuse d’orgue de
Barbarie
à
Londres.
Le déguisement émeut toujours mon cœur de poète,
Et votre vue me fait imaginer des aventures.
Djurgarden, jardins pâles loin des longs quais de pierres
Grises d’un gris si doux, si pur et estival!
Je veux errer dans ces bocages, le long de ces théâtres,
Le cœur tout alourdi de calorie-punch glacé.
J’irai dans les jardins des restaurations
Où des messieurs enivrés dorment sur les tables;
J’irai entendre là les derniers airs de
Berlin.
Et puis je regarderai l’étalage merveilleux
Du marchand de phonographes qui est au coin de
l’Arsenalsgatan
Et la statue de
Charles
XII me sourira dans les verdures
de cette place ombreuse et douce
Où j’ai souffert.
Stromparterren, place où l’on boit, au bord des eaux,
Comme dans l’eau, et sous un pont, sous des feuillages,
Le soir, du calorie-punch, et des liqueurs que l’on ne sert,
Qu’en flacons d’un quart de litre, qu’il faut bien vider!
Cela est la plus douce chose de
Stockholm.
Cela fait penser à
Venise et à des soirs sur la
Tamise,
Et c’est plus beau que les marchandes de journaux…
Et, pour vous garantir de l’humidité des soirs,
On vous fait envelopper d’une couverture de laine
D’un rouge éclatant, en sorte
Que les dames sont toutes des petits
Chaperons-Rouges.
Valery Larbaud