Voix des Servantes

Valery Larbaud
par Valery Larbaud
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Par la fenêtre ouverte au matin de printemps
(On respire donc un air vivant en

On)! j’entends
Leurs voix jeunes emplir la jaula sonore…
Ah ! pour un moment de joie dans mon cher cœur,
Pour un de ces moments dilatés de santé,
Un de ces moments cruels où l’on est bien soi!
Vivre dans un coin des cent mille replis d’une ville,
Comme une pensée criminelle dans un cerveau,
Et pouvoir acheter tout ce qu’il y a dans les boutiques
Flamboyantes, comme celles de

Paris, de

Vienne ou de
Londres,

Les restaurants, les bijouteries, les rues ouvertes (L’estomac est une besace pleine, les yeux

Sont deux lanternes allumées).

Vivre donc, oh, de ce matin bleu à ce soir rouge !

Est-ce que je mourrai « un matin de printemps »

Comme celui-là, plein d’air vivant et de chansons?

Oh, mais gonflez mon cœur de vos chansons, servantes!

Voix impériales, voix des filles du

Sud! Énergiques et graves comme les voix des garçons,

Vous vous mêlez à la chaleur et à l’air bleu,

A cette couronne que le soleil pose, là-haut, au mur aigu,
Cette bandelette orangée, aux confins des cieux, et
que je vois

Levant la tête vers les abîmes éthérés.
Rythmant le travail, les airs en chœur,
Les vieilles scies, les refrains neufs;
Et les choses sentimentales de toujours :
La «

Paloma » et «

Llora, pobre corazon »,
Les choses d’il y a dix ans, vous vous souvenez?
«

Con una falda de perçai blanca… »
(Mon vieux cœur, tous nos beaux matins de la

Navé 1)
Les zarzuelas de l’an dernier, comme
«

El arte de ser bonita » ou «

La gatita blanca ».
Écoutez ces furieuses, criant à grosses voix, l’air :
«

Anteayer vi a una senora… »
(Vous vieillirez, refrains, et vous aussi, ô voix
Qui, pures, vous élancez de ces gorges charmantes!)
O servantes de mon enfance, je pense à vous,
Divinités au seuil de la maison profonde,
Bonnes sambas crépues, et vous, cholitas rouges,
Toi, surtout, ma

Lola, grande vieille farouche
Avec des yeux fous et durs fixés au loin sur le monde.
Mais c’est toi qu’aujourd’hui je voudrais tant revoir,
Et ravoir (bien plus tard, à

Paris, je me souviens)
Toi,

Rose

Auroy, dans les jardins de l’ambassade,
En rabane rayée et foulard rouge à pois bouton d’or,
Et me disant (je revois tes grands yeux
D’un noir doré, profonds et graves

Car je t’aimais surtout pour douloureuse et grave)
«

Mossié, veut-ti savoi les sirandanes ? »
Les sirandanes, milatresse, les sirandanes!
«

Mon la maison, l’a beaucoup di fenêtes, une seule
pôte? »

Et je cherchais, au fond de tes yeux inoubliables,

Le mot de l’énigme, ô poseuse de sirandanes!

Alors tu disais comme sortant d’un rêve,

Riant soudain : «

Dé à coude!

Mossié, dé à coudeI »

Rose

Auroy, te souviens-tu de ce petit garçon exotique

Que la vieille

Lola nommait «

Milordito »?

O

Servantes, chantez! voix brûlantes, voix fières!

Toutes les criadas de la maison, chantez!

Amparo,

Carmeta,

Angustias, chantez!

Et remplissez ce cœur qui vous dédie ces larmes…

Valery Larbaud

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