Mon sexe, dites-vous, déshérité des cieux
Mon sexe, dites-vous, déshérité des cieux,
Ne sait juger ni vers ni prose.
Un style clair et pur, obscur ou vicieux ;
Du bon ou du mauvais : c’est pour lui même chose.
Jamais de l’analyse il ne prit le compas,
Enfin de l’art d’écrire il ne se doute pas.
Hé bien, passe pour l’art d’écrire :
Mais il faut nous permettre au moins de savoir lire.
Si vous tenez rigueur, si vous n’accordez rien,
Nous lirons malgré vous, et nous lirons très bien.
On a vu, grâce à la sottise,
On voit et l’on verra pédants lourds et diffus
Ecrire sans s’entendre et sans être entendus,
Et s’admirer surtout quoi que la raison dise.
Mais femme en l’art des mots est beaucoup moins apprise :
De la clarté du sens elle fait plus de cas,
Et n’admire jamais ce qu’elle n’entend pas.
Bien il est vrai pourtant que l’austère analyse
Ne procède pas à sa guise.
Elle s’en va décomposant,
Recomposant et détruisant,
Sur l’avenir, sur le présent,
La douce illusion que la nature a mise.
Cette méthode exacte a pour nous peu d’appas ;
Messieurs, ne vous en fâchez pas :
On peut être, je crois, sans vous faire une injure,
Du même avis que la nature.
Et puis, la vérité qui marche pas à pas,
Bientôt nous conduirait peut-être
A vouloir juger notre maître ;
Et quel serait votre embarras,
Si nous allions vous bien connaître !
En vous analysant sans nous laisser charmer,
Le résultat bien net d’une telle science
Ne nous offrirait pas, je pense,
Trop de raisons pour vous aimer.