A Petite Jeanne

Victor Hugo
par Victor Hugo
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Vous eûtes donc hier un an, ma bienaimée.
Contente, vous jasez, comme, sous la ramée,
Au fond du nid plus tiède ouvrant de vagues yeux,
Les oiseaux nouveaunés gazouillent, tout joyeux
De sentir qu’il commence à leur pousser des plumes.
Jeanne, ta bouche est rose ; et dans les gros volumes
Dont les images font ta joie, et que je dois,
Pour te plaire, laisser chiffonner par tes doigts,
On trouve de beaux vers ; mais pas un qui te vaille
Quand tout ton petit corps en me voyant tressaille ;
Les plus fameux auteurs n’ont rien écrit de mieux
Que la pensée éclose à demi dans tes yeux,
Et que ta rêverie obscure, éparse, étrange,
Regardant l’homme avec l’ignorance de l’ange.
Jeanne, Dieu n’est pas loin puisque vous êtes là.

Ah ! vous avez un an, c’est un âge cela !
Vous êtes par moments grave, quoique ravie ;
Vous êtes à l’instant céleste de la vie
Où l’homme n’a pas d’ombre, où dans ses bras ouverts,
Quand il tient ses parents, l’enfant tient l’univers ;
Votre jeune âme vit, songe, rit, pleure, espère
D’Alice votre mère à Charles votre père ;
Tout l’horizon que peut contenir votre esprit
Va d’elle qui vous berce à lui qui vous sourit ;
Ces deux êtres pour vous à cette heure première
Sont toute la caresse et toute la lumière ;
Eux deux, eux seuls, ô Jeanne ; et c’est juste ; et je suis,
Et j’existe, humble aïeul, parce que je vous suis ;
Et vous venez, et moi je m’en vais ; et j’adore,
N’ayant droit qu’à la nuit, votre droit à l’aurore.
Votre blond frère George et vous, vous suffisez
A mon âme, et je vois vos jeux, et c’est assez ;
Et je ne veux, après mes épreuves sans nombre,
Qu’un tombeau sur lequel se découpera l’ombre
De vos berceaux dorés par le soleil levant.

Ah ! nouvelle venue innocente, et rêvant,
Vous avez pris pour naître une heure singulière ;
Vous êtes, Jeanne, avec les terreurs familière ;
Vous souriez devant tout un monde aux abois ;
Vous faites votre bruit d’abeille dans les bois,
Ô Jeanne, et vous mêlez votre charmant murmure
Au grand Paris faisant sonner sa grande armure.
Ah ! quand je vous entends, Jeanne, et quand je vous vois
Chanter, et, me parlant avec votre humble voix,
Tendre vos douces mains audessus de nos têtes,
Il me semble que l’ombre où grondent les tempêtes
Tremble et s’éloigne avec des rugissements sourds,
Et que Dieu fait donner à la ville aux cent tours
Désemparée ainsi qu’un navire qui sombre,
Aux énormes canons gardant le rempart sombre,
A l’univers qui penche et que Paris défend,
Sa bénédiction par un petit enfant.

Paris, 30 septembre 1870

L’année terrible

Victor Hugo

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