Ce que le poète se disait en 1848
Tu ne dois pas chercher le pouvoir, tu dois faire
Ton œuvre ailleurs ; tu dois, esprit d’une autre sphère,
Devant l’occasion reculer chastement.
De la pensée en deuil doux et sévère amant,
Compris ou dédaigné des hommes, tu dois être
Pâtre pour les garder et pour les bénir prêtre.
Lorsque les citoyens, par la misère aigris,
Fils de la même France et du même Paris,
S’égorgent ; quand, sinistre, et soudain apparue,
La morne barricade au coin de chaque rue
Monte et vomit la mort de partout à la fois,
Tu dois y courir seul et désarmé ; tu dois
Dans cette guerre impie, abominable, infâme,
Présenter ta poitrine et répandre ton âme,
Parler, prier, sauver les faibles et les forts,
Sourire à la mitraille et pleurer sur les morts ;
Puis remonter tranquille à ta place isolée,
Et là, défendre, au sein de l’ardente assemblée,
Et ceux qu’on veut proscrire et ceux qu’on croit juger,
Renverser l’échafaud, servir et protéger
L’ordre et la paix, qu’ébranle un parti téméraire,
Nos soldats trop aisés à tromper, et ton frère,
Le pauvre homme du peuple aux cabanons jeté,
Et les lois, et la triste et fière liberté ;
Consoler dans ces jours d’anxiété funeste,
L’art divin qui frissonne et pleure, et pour le reste
Attendre le moment suprême et décisif.
Ton rôle est d’avertir et de rester pensif.
Le 27 novembre 1848.