Demain, dès l’aube
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
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Magnifique et émouvant hommage de Victor Hugo à sa fille disparue tragiquement.
Analyse de “Demain dès l’aube” par Victor Hugo : Un voyage au cœur du deuil
I. Un contexte historique et littéraire
Publication et genèse
Publié en 1856 dans le recueil Les Contemplations, le poème Demain dès l’aube de Victor Hugo est né quatre ans plus tôt, en 1847. Il s’inscrit dans un cycle de poèmes dédiés à la mémoire de sa fille Léopoldine, tragiquement disparue.
Un écho du Romantisme
Ce texte, empreint de lyrisme et d’une tonalité incantatoire, porte les marques distinctives du Romantisme :
II. Un style unique, au-delà des conventions
Intimité et pudeur
Si le poème s’inscrit dans la tradition romantique, Hugo se démarque par une approche plus nuancée et personnelle. Demain dès l’aube est un texte intime, où le poète se livre sans fard, mais avec une pudeur touchante.
Un écho intérieur
Le poème se caractérise par une répétition quasi obsessionnelle des sentiments et des images, reflétant la rumination du deuil qui hante le poète. Cette circularité renvoie à l’impossibilité de surmonter la douleur.
Un parallèle avec “Elle avait pris ce pli”
Demain dès l’aube entre en résonance avec un autre poème de Hugo, “Elle avait pris ce pli”, où le deuil est également évoqué avec une grande sensibilité.
III. Un poème d’amour ou un chant funèbre ?
Une apparence trompeuse
À première vue, Demain dès l’aube pourrait être interprété comme un poème d’amour, tant le ton est tendre et les images évoquent une rencontre amoureuse.
La révélation du deuil
Cependant, au fil de la lecture, il apparaît clairement que ce poème est en réalité un chant funèbre. L’amour exprimé est celui d’un père pour sa fille disparue, et le rendez-vous annoncé est celui de la mort.
Une douleur infinie
La tristesse qui émane du poème est profonde et semble sans fin. Hugo exprime l’impossibilité de se résigner à la perte de sa fille, et la douleur qui le consume.
En conclusion, Demain dès l’aube est un chef-d’œuvre de la poésie romantique, qui témoigne de la capacité de Victor Hugo à transformer une douleur personnelle en une œuvre d’art universelle. Le poète nous invite à partager sa souffrance, tout en nous montrant la force de l’amour et la résilience de l’âme humaine.
Sujet:
Le poème Demain dès l’aube de Victor Hugo est né quatre ans plus tôt, en 1847. Il s’inscrit dans un cycle de poèmes dédiés à la mémoire de sa fille Léopoldine, tragiquement disparue.
Analyse II:
Le poème est écrit comme le discours d’un narrateur qui tutoie un interlocuteur restant inconnu, pour lui raconter, à la première personne et au futur, de quelle manière il va partir le lendemain dès l’aube et, sans jamais se laisser distraire par son environnement, marcher à travers la campagne pour le rejoindre. De manière inattendue, ce voyage s’avère finalement plus tragique qu’on aurait pu l’imaginer, puisque la fin du poème révèle que cette personne chère, à laquelle le narrateur s’adresse et qu’il part retrouver, est en fait morte, et qu’il se rend dans un cimetière pour fleurir sa tombe.
À la lumière des événements qui ont marqué la vie de l’auteur, on comprend que ce poème est autobiographique et que Victor Hugo s’y adresse à sa fille Léopoldine, disparue quatre ans plus tôt, et dont il commémore la mort dans un pèlerinage annuel entre Le Havre et Villequier, le village de Normandie où elle s’est noyée accidentellement avec son mari Charles Vacquerie, et où elle est enterrée. Victor Hugo allait sur sa tombe tous les jeudis.
La date réelle d’écriture est le 4 octobre 1847, mais Victor Hugo l’a modifiée en « 3 septembre », veille de l’anniversaire de la mort de sa fille. Pauca meæ — le livre IV du recueil des Contemplations — est en effet une reconstruction artificielle qui commence par l’évocation de souvenirs attendris de l’enfance de Léopoldine, se poursuit par l’abattement devant la mort et se termine par une consolation religieuse avec les figures positives qui achèvent les derniers poèmes de la partie : Mors (« Tout était à ses pieds deuil, épouvante et nuit. / Derrière elle, le front baigné de douces flammes, / Un ange souriant portait la gerbe d’âmes ») et Charles Vacquerie (« Dans l’éternel baiser de deux âmes que Dieu / Tout à coup change en deux étoiles ! »).