La douleur du pacha

Victor Hugo
par Victor Hugo
1 vues
0.0

Qu’a donc l’ombre d’Allah ? disait l’humble derviche ;
Son aumône est bien pauvre et son trésor bien riche !
Sombre, immobile, avare, il rit d’un rire amer.
Atil donc ébréché le sabre de son père ?
Ou bien de ses soldats autour de son repaire
Vu rugir l’orageuse mer ?

Qu’atil donc le pacha, le vizir des armées ?
Disaient les bombardiers, leurs mèches allumées.
Les imans troublentils cette tête de fer ?
Atil du ramazan rompu le jeûne austère ?
Lui fontils voir en rêve, aux bornes de la terre,
L’ange Azraël debout sur le pont de l’enfer ?

Qu’atil donc ? murmuraient les icoglans stupides.
Diton qu’il ait perdu, dans les courants rapides,
Le vaisseau des parfums qui le font rajeunir ?
Trouveton à Stamboul sa gloire assez ancienne ?
Dans les prédictions de quelque égyptienne
Atil vu le muet venir ?

Qu’a donc le doux sultan ? demandaient les sultanes.
Atil avec son fils surpris sous les platanes
Sa brune favorite aux lèvres de corail ?
Aton souillé son bain d’une essence grossière ?
Dans le sac du fellah, vidé sur la poussière,
Manquetil quelque tête attendue au sérail ?

Qu’a donc le maître ? Ainsi s’agitent les esclaves.
Tous se trompent. Hélas ! si, perdu pour ses braves,
Assis, comme un guerrier qui dévore un affront,
Courbé comme un vieillard sous le poids des années,
Depuis trois longues nuits et trois longues journées,
Il croise ses mains sur son front ;

Ce n’est pas qu’il ait vu la révolte infidèle,
Assiégeant son harem comme une citadelle,
Jeter jusqu’à sa couche un sinistre brandon ;
Ni d’un père en sa main s’émousser le vieux glaive ;
Ni paraître Azraël ; ni passer dans un rêve
Les muets bigarrés armés du noir cordon.

Hélas ! l’ombre d’Allah n’a pas rompu le jeûne ;
La sultane est gardée, et son fils est trop jeune ;
Nul vaisseau n’a subi d’orages importuns ;
Le tartare avait bien sa charge accoutumée ;
Il ne manque au sérail, solitude embaumée,
Ni les têtes ni les parfums.

Ce ne sont pas non plus les villes écroulées,
Les ossements humains noircissant les vallées,
La Grèce incendiée, en proie aux fils d’Omar,
L’orphelin, ni la veuve, et ses plaintes amères,
Ni l’enfance égorgée aux yeux des pauvres mères,
Ni la virginité marchandée au bazar ;

Non, non, ce ne sont pas ces figures funèbres,
Qui, d’un rayon sanglant luisant dans les ténèbres,
En passant dans son âme ont laissé le remord.
Qu’atil donc ce pacha, que la guerre réclame,
Et qui, triste et rêveur, pleure comme une femme ?…
Son tigre de Nubie est mort.

Les orientales

Victor Hugo

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Victor Hugo

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Votre commentaire est une perle dans notre océan de vers. Plongez avec élégance.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.