À M. ***
(Du camp de Philisbourg, le 3 juillet 1734)
C’est ici que l’on dort sans lit,
Et qu’on prend ses repas par terre ;
Je vois et j’entends l’atmosphère
Qui s’embrase et qui retentit
De cent décharges de tonnerre ;
Et dans ces horreurs de la guerre
Le Français chante, boit, et rit.
Bellone va réduire en cendres
Les courtines de Philisbourg,
Par cinquante mille Alexandres
Payés à quatre sous par jour.
Je les vois, prodiguant leur vie,
Chercher ces combats meurtriers,
Couverts de fange et de lauriers,
Et pleins d’honneur et de folie.
Je vois briller au milieu d’eux
Ce fantôme nommé la Gloire,
À l’œil superbe, au front poudreux,
Portant au cou cravate noire,
Ayant sa trompette en sa main,
Sonnant la charge et la victoire,
Et chantant quelques airs à boire,
Dont ils répètent le refrain.
Ô nation brillante et vaine !
Illustres fous, peuple charmant,
Que la Gloire à son char enchaîne,
Il est beau d’affronter gaîment
Le trépas et le prince Eugène.
Mais, hélas ! quel sera le prix
De vos héroïques prouesses !
Vous serez cocus dans Paris
Par vos femmes et vos maîtresses.