L’exil d’Apollon

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par Xavier Labensky Dit Jean Polonius
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Apollon dans l’exil végète sur la terre.
Dépouillé de sa gloire, il a fui loin du ciel,
Errant, comme l’aiglon qu’a rejeté son père
Loin du nid maternel.

Ah ! plaignez le destin du dieu de l’harmonie !
Des plus vils des humains il a subi la loi ;
Et celui dont l’Olympe admirait le génie
Est l’esclave d’un roi !

Près des lieux où l’Ossa lève sa crête altière,
Morne, il va conduisant ses troupeaux vagabonds,
Réduit au pain grossier qu’on jette pour salaire
Aux pâtres de ces monts.

Il est nuit : dans les parcs, tout se tait, tout sommeille ;
On n’entend que le bruit du sauvage torrent,
Ou la voix de l’agneau qu’un autre agneau réveille,
Et qui bêle en rêvant.

Qu’il est doux, le parfum de ces forêts lointaines !
Qu’il est grand, le tableau de ce monde étoilé !
Mais quels tableaux, hélas ! peuvent charmer les peines
De l’auguste exilé ?

Astres, soleils divins, peuplades vagabondes,
Yeux brillants de la nuit qui parsemez les cieux,
Qu’êtesvous pour celui qui du père des mondes
A vu de près les yeux ?…

Le front nu, le regard levé vers les étoiles,
Sous l’abri d’un laurier le dieu s’est étendu,
Et son oeil enivré cherche à percer les voiles
Du ciel qu’il a perdu.

Ses doigts courent sans but sur sa lyre incertaine ;
Errant de corde en corde, il prélude longtemps,
Puis, tout à coup, cédant au transport qui l’entraîne,
Il exhale ces chants :

‘ Que voulezvous de moi, visions immortelles ?
‘ Douloureux souvenirs, ineffables regrets !
‘ Que voulezvous ? pourquoi m’emporter sur vos ailes
‘ Aux célestes palais ?

‘ J’entends encor le bruit de leurs fêtes brillantes ;
‘ Sous ces lambris d’azur, d’où me voilà tombé,
‘ Je sens, j’aspire encor les vapeurs enivrantes
‘ De la coupe d’Hébé.

‘ Je vois les dieux assis sous les pieds de mon père !
‘ Je les vois, de son front contemplant la splendeur,
‘ L’oeil fixé sur ses yeux, brillants de sa lumière,
‘ Heureux de son bonheur.

‘ Même voeu, même soin, même esprit les anime.
‘ Chacun d’eux, l’un de l’autre écho mélodieux,
‘ Sait comprendre et parler cette langue sublime
‘ Qu’on ne parle qu’aux cieux.

‘ Mais moi, qui me comprend dans mes chagrins sans nombre,
‘ Qui peut sentir, connaître, alléger ma douleur ?
‘ Hélas ! pour compagnon je n’ai plus que mon ombre,
‘ Pour écho que mon coeur.

‘ Ces pâtres ignorants à qui mon sort me lie,
‘ Bruts comme les troupeaux qu’ils chassent devant eux,
‘ Peuventils deviner d’une immortelle vie
‘ Les besoins et les voeux ?

‘ Ontils vu les rayons dont brille mon visage ?
‘ Sauraientils distinguer mes lyriques accents
‘ De ces cris imparfaits, de ce grossier langage,
‘ Qu’ils appellent des chants ?

‘ Fixant sur mes regards un stupide sourire,
‘ Ils s’étonnent de maux que nul d’eux n’a soufferts ;
‘ Cet étroit horizon, où leur âme respire,
‘ Est pour eux l’univers.

‘ J’ai vécu d’une vie et plus haute et plus fière !
‘ Ma lèvre, humide encor du breuvage des dieux,
‘ Rejette avec dégoût les flots mêlés de terre
‘ Qu’il faut boire en ces lieux.

‘ Ô mon père ! ô mon père ! à quelle mort vivante
‘ L’enfant de ton amour est icibas livré !
‘ Pourquoi le triple dard de ta flèche brûlante
‘ Ne m’atil qu’effleuré ?

‘ Frappe ! éteins dans mon sang ta colère implacable !
‘ Brise à jamais le sceau de ma divinité ;
‘ Délivremoi du joug horrible, intolérable
‘ De l’immortalité ! ‘

Il disait. Mille éclairs ont déchiré la nue ;
L’aigle sacré descend sur ses ailes de feu ;
Et, parlant dans la foudre, une voix trop connue
Vient réveiller le dieu :

‘ Ô mon fils ! de tes maux supporte ce qui reste !
‘ Attends que de l’exil le temps soit accompli :
‘ Une fois épuisé, le sablier funeste
‘ Ne sera pas rempli.

‘ Ton père te punit ; mais il punit en père :
‘ Bientôt, volant vers toi sur un rayon du jour,
‘ Mon aigle descendra t’enlever de la terre
‘ Au céleste séjour.

‘ Là, mon coeur te réserve une place plus belle.
‘ Conduisant du soleil les coursiers vagabonds,
‘ C’est toi qui de sa flamme à la race mortelle
‘ Verseras les rayons.

‘ Alors, si, comme toi, quelque enfant du génie,
‘ A d’ignobles travaux forcé par le malheur,
‘ Élevait jusqu’au sein de ta gloire infinie
‘ Le cri de sa douleur ;

‘ Si, saisi du dégoût des choses de la terre,
‘ Jetant sur la nature un oeil désenchanté,
‘ Il écartait de lui la coupe trop amère
‘ De l’immortalité :

‘ Qu’à ton seul souvenir il reprenne courage ;
‘ Qu’il sache que l’injure ou l’oubli des humains
‘ Ne lui raviront pas le sublime héritage
‘ Qu’il reçut de tes mains !

‘ Le peuple des oiseaux, quand le temps les dévore,
‘ Tombe et reste englouti dans l’éternel sommeil :
‘ Le phénix sait revivre et s’élancer encore
‘ Aux palais du soleil. ‘

Xavier Labensky Dit Jean Polonius

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